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Gabriel Folli, être-là ou la question du lieu *

A propos de la « perpétuelle évolution, jamais définitive » de sa ville de Cergy, Annie Ernaux relève, dans Le vrai lieu, paru en 2014, qu’ « à cause de ces changements rapides, il me semble que je suis davantage encline à noter ce qui va disparaître, ces visages, ces instants. Parce que, au fond, tant que je n’ai pas écrit sur quelque chose, ça n’existe pas. » Gabriel Folli serait-il animé d’une même dynamique et est-il amené à décliner tous ces lieux mémoriels ou traversés qu’il lui faut les dessiner pour qu’ils existent, sinon qu’ils perdurent. Quelque chose d’un rapport au temps et à l’espace est ancré à sa démarche qui en constitue la structure, qui en justifie le bien-fondé. Une posture qui n’est pas éloignée non plus de ce projet inédit auquel s’est appliqué six années durant Georges Perec, recensant douze lieux qu’il décrit tout d’abord sur place, puis de mémoire, intitulé Lieux, publié de façon posthume en 2022.

Placer d’emblée l’art de Gabriel Folli à l’aune de ces deux figures essentielles d’une histoire contemporaine de la littérature ne vise qu’à souligner une certaine communauté de pratiques dont celui-ci procède. Il y va tout d’abord d’une idée de territoire, puis de la notion d’inventaire, enfin du soin de basculer le particulier en universel. A l’œuvre, l’artiste se plaît à mêler matérialités et temporalités dans la réalisation de dessins qui actent le vécu effectif d’une présence, sinon le souvenir de celle-ci, voire d’une lecture, d’un film ou d’une image. Dans tous les cas, d’un ressenti sensible qui a fait trace et qui s’impose à lui comme vecteur cardinal au principe même de création.

Comme en écho à celui-ci, Gabriel Folli privilégie au travail le recours à des supports papiers qu’il trouve ici et là, le plus souvent usagés et chargés d’histoire, mais aussi à toutes sortes d’images photographiques, anonymes, familières ou faites par lui-même au cours de ses pérégrinations. Autant de matériaux qui portent en eux un rapport au temps et dont le recyclage en accuse la mesure. La façon dont il compose avec, par le biais de l’assemblage ou du collage, les instruit à l’ordre d’ensembles palimpsestes qui confortent leur dimension mémorielle. L’utilisation qu’il fait tant du fusain, compressé ou non, que de l’encre de Chine, plus ou moins diluée, pour les en couvrir leur confère une qualité de noir mental plus ou moins profond. L’exercice d’écriture qui accompagne ordinairement ses travaux – simples bribes, notes ou récits courts - assure par ailleurs ceux-ci de contextualisation par le jeu des indices qu’il y délivre. L’art de Folli s’inscrit ainsi à l’ordre d’une métamorphose au regard de ce qui fonde toute création entre passé, présent et devenir.

L’artiste ne raconte pas d’histoire, le narratif n’est pas sa norme. Il juxtapose des fragments du réel, jouant de leur différence iconique, de leur format, de leur qualité plastique, qu’il rehausse, qu’il caviarde, pour constituer un tout soit dans l’unicité d’une seule et même forme, soit dans l’éclatement ou le déploiement d’une composition hétérogène. Chez lui - comme l’écrit encore Annie Ernaux dans La place – « le fragment est vraiment important » pour ce que chacune de ses œuvres relève d’un travail de recherches et repose sur l’idée de construction.

La notion de chantier, sinon de laboratoire caractérise ses expositions tant elles configurent un espace en jachère, ouvertes à l’imaginaire du regardeur qui peut y trouver matière à errance. Gabriel Folli nous embarque dans son monde sans nous contraindre d’aucune sorte à quelque aventure imposée ; il nous invite à exercer notre regard pour voir toujours au-delà de ce qui est sous nos yeux. La réalité est bien plus que le simple constat du réel ; elle est le fruit de toutes nos expériences cognitives. C’est elle que l’artiste s’applique à mettre en forme dans son œuvre. Une réalité qui prend corps sur la plaque sensible de ses dessins.

Quelque chose de photographique est en effet à l’œuvre dans le travail de Gabriel Folli. Voire de filmique dans le bout-à-bout d’images qu’il rassemble et qui se donne à voir parfois en de grandes frises à parcourir, comme on fait un travelling au cinéma. Entre multiplication des plans et continuum latéral, ce qui se joue n’est autre que la conscience d’un être-là. Ici et maintenant. A ce moment précis où l’artiste opère cette inéluctable alchimie du temps et de l’espace. Parce que, somme toute, c’est la raison d’œuvre de sa démarche, la quête d’une permanence.

Philippe Piguet

 

* Préface de mon livre d’artiste Le bleu de l’archive, 2024. Avec le soutien de la Maison de la Culture d’Amiens et de la DRAC Hauts-de-France.

 

 

 

 

 

 

Résidences croisées Nord/Sud au Château de Servières

 

Gabriel Folli – « Le plaisir au travail »

En résidence au Château de Servières, Gabriel Folli s’est immergé dans la cité phocéenne pour faire se connecter Amiens et Marseille à travers une exposition conçue en deux volets. Une série de dessins hors format A4 et de dessins-collages démarrés en atelier pendant le confinement, mélange de différents papiers et sujets : l’enfance, le cinéma, l’architecture ; un travail in situ apposé à même le mur sous forme de fresque en perpétuelle évolution.

Ce qui frappe dès le premier regard est la maturité de son travail et la maitrise technique. Depuis 2015, date de l’obtention de son Master Art Théories et pratiques artistiques, mention très bien et félicitations du jury à l’UFR des Arts à Amiens, Gabriel Folli voue une prédilection pour le fusain et le crayon de couleur, la technique du collage n’apparaissant qu’en 2020. Et pour la diversité des supports qu’il recouvre (papier peint, tickets de caisse usagés, affiches) ou dont il réinvente les tracés (plans).

Parfois même il intervient sur des œuvres anciennes, les réactualise pour créer de nouvelles images, avouant apprécier « le hasard de la trouvaille pour amorcer de nouvelles séries, le côté un peu jauni des vieux papiers ». Ou des anciens Polaroïds qu’il manipule pour mettre en abime, comme dans Éloge du paysan, un grand format au fusain et à l’acrylique réalisé dans la nature picarde.

Récupérés au hasard de ses pérégrinations dans le 4ème arrondissement, de vieux meubles sont prétextes à des compositions volumétriques invitant le spectateur à se déplacer autour du dessin comme il le ferait pour une sculpture. Voir à ouvrir les tiroirs pour distinguer d’autres dessins dans le dessin. Gabriel Folli parle ainsi du « déplacement d’un dessin manipulable, de l’opportunité d’expérimenter soi-même le dessin, de sortir du papier pour aller vers l’installation ».

Ses interventions changent donc la nature de l’objet qui s’autonomise et offre plusieurs possibilités de présentation : « Je collecte, inventorie, assemble, construits et déconstruits les formes, joue avec les formats (…) La déconstruction appelle la renaissance ». Ainsi son « Studio View » qui peut potentiellement évoluer, meuble et livre-objet sur lesquels il intervient à l’envi, tout à la fois carnet de bord et croquis d’œuvres à venir né de son désir de ne rien jeter et de dévoiler son parcours de création.

De grande ampleur, son installation dessine un paysage fantasmé composé de paysages réels combinés et reliés entre eux par de savantes lignes architecturales. L’ensemble jouant sur la multiplicité des échelles et des points de vue sur Castellane, la Corniche, le fort Saint-Jean, la place d’Amiens… des quartiers et des architectures habités malgré l’absence de figures humaines. Si Gabriel Folli pratique le dessin grand format (2 x 3 m), la création de cet « environnement » est une première où se mêlent dessins à l’encre de chine, techniques mixtes et fusain sur papier vierge, le fusain lui permettant d’approfondir les effets de matière, d’épaisseur, de jouer sur les nuances de noir, de gris et de blanc. Visiblement très inspiré par notre territoire, Gabriel Folli a su incarner un paysage flottant et évolutif au gré de futures incursions, ici ou ailleurs…

 

Marie Godfrin-Guidicelli, En revenant de l’expo !, « Le plaisir au travail » de Gabriel Folli, novembre 2023

 

 

 

 

Gabriel Folli, l’écriture du monde contemporain, Psy&Co

Entretien avec Marc Lasseaux, psychanalyste et président des Amis du FRAC Grand Large

Septembre 2023, à retrouver sur psyetco.fr

 

Marc Lasseaux – Après ta formation, tu commences à travailler le dessin. Dès 2015, il est présenté en galerie, à Bruxelles. Ce point de départ marque une intense activité de production et d’engagements en centres d’art, résidences, foires et salons. Qu’est-ce qui se joue de ton désir et peut-être de la nécessité dans cet appétit ?

Gabriel Folli – Les premières expositions à Bruxelles, avec la galerie Artitude, m’ont conforté dans cette volonté d’être artiste et de développer un travail autour du dessin, qui est rapidement devenu le choix le plus naturel, principalement au fusain à l’époque. Les discussions que j’ai pu avoir avec le galeriste, Chris de Becker, et d’autres personnes rencontrées à Bruxelles alors que j’étais en début de carrière m’ont apporté cette détermination nécessaire pour avancer et progresser dans ma pratique, ainsi que dans mon parcours avec les expositions solo et collectives, dont certaines axées sur le dessin contemporain, et les foires comme Art on Paper au Palais des Beaux-Arts en 2018. Ce que je recherche dans mon travail, c’est de déplacer le medium sur d’autres matériaux que le papier, de lier le dessin au volume, à l’installation, à la sculpture ; de mettre en avant le processus de création, d’archiver chaque geste, grâce notamment aux annotations et au collage de Polaroids que j’intègre au support. Cette liberté grandissante m’apporte beaucoup de plaisir, c’est une nécessité pour ne pas tourner en rond.

 

ML – De ton travail, tu dis (je te cite) : « chaque projet élaboré sous forme de dessins, d’essais visuels ou textuels, et d’installations, restitue une production d’objets à partir de documents, d’archives, de données que je collecte. » Comment procèdes-tu depuis l’idée d’une œuvre, jusque sa réalisation achevée ?

GF – Le point de départ est toujours l’image, que je trouve sur Internet, dans des livres, ou que je fais avec mon téléphone portable ou un appareil photo. Il faut que l’image m’intéresse pour ses qualités esthétiques, qu’elle me parle. Ensuite j’allume mon vidéo-projecteur, je projette les images choisies sur le papier accroché au mur, puis j’assemble des éléments, je fabrique des compositions, en recherchant un équilibre, une harmonie, un cadrage. J’utilise principalement le fusain, mais aussi l’encre de chine, le crayon de couleur, parfois l’acrylique et le graphite, je colle des rebuts d’atelier, des Polaroids, je note des choses. Certains travaux sont sur papier encadrés, d’autres sur des morceaux de papier peint ou plan trouvés, parfois se retrouvent redressés dans la nature et se rapprochent d’une démarche scénographique, ou sont retravaillés quelques années après puis collés sur bois ou intégrés à des livres-objets.

ML – Ce qui est présent et marquant dans ton travail, c’est le sociétal. La société y est présente par l’histoire, qu’elle soit locale ou mondiale, des époques, des lieux, des visages et des corps. A ce propos, tu parles de « dresser un état des lieux du monde actuel ».

GF – Oui, mon travail est le résultat d’une observation de ce que devient la société, de son évolution rapide, et je crois que les artistes doivent grandir avec elle, la comprendre pour que la démarche soit pertinente et en lien avec son époque. Beaucoup de sujets reviennent, une certaine esthétique est présente, assez brute, comme peut l’être le geste. Je pense d’ailleurs que les thèmes disons collectifs se confrontent à une vision plus personnelle, à un vécu. Les vues d’atelier captées par le Polaroid ou

les réflexions que j’ai et je j’inscris souvent au marqueur sur les travaux permettent de sauvegarder des instants, par conséquent une histoire, celle de l’artiste qui s’inscrit pleinement dans le monde qu’il habite et qu’il assimile.

ML – Pour terminer notre échange, à quelle étape de travail et de présence te trouves-tu aujourd’hui ? Tu pourrais nous parler aussi des projets de cette année 2023 en cours.

GF – Comme je le soulignais ci-dessus, je suis dans une phase d’expérimentation assez riche depuis quelques années, précisément depuis le confinement en 2020, durant lequel mon travail autour du dessin a pris de nouvelles directions. De nouvelles techniques, des formes inédites, de nouveaux matériaux, dont beaucoup récupérés ici ou là, par le hasard de la trouvaille. Une œuvre en perpétuel mouvement, où le déplacement obtient une place primordiale.

L’année 2023 a commencé par une exposition collective, celle organisée par l’ADIAF, De leur temps (7), au FRAC Grand Large à Dunkerque. Ensuite j’ai participé au salon Drawing Now Art Fair à Paris, sur lequel j’étais l’artiste en focus, avec la Galerie La Ferronnerie. J’ai été en résidence à la fin de l’été aux Ateliers DLKC en Ariège, et actuellement je suis en résidence au Château de Servières à Marseille pour préparer une exposition personnelle intitulée Le plaisir au travail du 21 octobre au 09 décembre. Ma première exposition personnelle à Paris, L’atelier du dessinateur aura lieu à la Galerie La Ferronnerie dès le 08 octobre, et la revue Avalanche 4 sur laquelle j’ai travaillé avec d’autres artistes et le FRAC Picardie devrait voir le jour courant octobre 2023.

Gabriel Folli, l’écriture du monde contemporainPsy&Co, septembre 2023

 

 

 

 

FR - ESTHETIQUE DU CHAOS

 

Gabriel Folli pousse l'hybridation des procédés et des images au point de produire les dessins les plus composites qui soient.

 

Sa série Amo Bishop Roden (2022), dont le titre est celui d'une chanson de Boards of Canada écoutée en boucle au cours de son élaboration, comprend six dessins qui agrègent photocopies de photographies, Polaroids, un ancien dessin au fusain collés sur des pages d'un vieux carnet et complétés d'interventions au graphite, crayon de couleur, marqueur, encre de chine. Parmi ces dernières, certaines interprètent des images trouvées comme dans ce dessin qui associe une image de ruine de la guerre d'Espagne à des portraits d'enfants espagnols issus de photographies de la même période et dessinés au revers de la page.

 

Cette "esthétique du chaos", selon les termes de l'artiste, s'appuie sur le rebut et le remploi mais aussi sur un archivage visuel tous azimuts. Multipliant les passages entre le passé et le présent, mise en abîme par les Polaroids de vues depuis l'atelier ou du travail en cours, elle sert l'enquête de l'artiste sur les violences de nos sociétés. 

EN - AESTHETIC OF CHAOS

Gabriel Folli pushes the hybridisation of processes and images to the point of producing the most composite drawings possible.

 

His series Amo Bishop Roden (2022) , whose title is that of a Boards of Canada song which he listened to on a loop as he was making it, includes six drawings which combines photocopies of photographs, Polaroids, an old charcoal drawing pasted on pages of an old notebook and completed by interventions in graphite, crayon, marker and Indian ink. Some of these interpret found images, as in a drawing which associates an image of the ruins of the Spanish war with portraits of Spanish children taken from photographs from the same period and drawn on the back of the page.

 

This "aesthetic of chaos", to use the artist’s words, is based on wasted and re-use, but also on a full-scale process of visual archiving.

Multiplying the journeys between the past and the present, with a mise en abyme created by the Polaroids of views from the studio of the work in progress, this contributes to the artist’s investigation into the violence of our societies.

Translation : Juliet Powys

Etienne Hatt, Dessins contemporains : Au contact du photographique, p.58-59, Art Press 508, mars 2023

 

 

 

 

Gabriel Folli sème ses propres traces, s’appropriant les plus lointaines comme les plus proches. Son oeuvre s’appréhende tel un tout réflexif, cheminant au gré de certains motifs récurrents et d’apports nouveaux. L’artiste collecte, inventorie, assemble, construit et déconstruit les formes, se joue des formats, dans une logique constante de mise en ordre du désordre.

 

De l’image transposée aux expérimentations du collage, résulte une harmonie frôlant le chaos.

La superposition d’éléments, l’imbrication de plans génèrent différents champs visuels, bousculant les tenants et aboutissants d’une dynamique du temps. Par où débuter, par quoi finir ?

 

Nourri de sa lecture de l’environnement, l’artiste dresse un état des lieux du monde actuel, qu’il soit géopolitique, économique, politique ou social, rapprochant sa démarche du fragmentaire par le recyclage d’éléments qui lui est cher.

Il réorganise délibérément notre vision du présent par la confrontation, à l’aide de collages, d’un ensemble d’éléments disparates, tout en combinant techniques et matériaux.

 

A côté d’éléments de la nature, de matériaux de rebut : bois, plastique, carton, à portée de vue au quotidien, viennent s’ajouter des mots, phrases, issus de l’actualité, empruntés à la poésie, ainsi que citations et hommages, visages connus ou non, Polaroïds, dessins d’architecture ou croquis évoquant des faits historiques. L’oeuvre résultant de ces assemblages, porte ainsi la trace du geste de l’artiste, la marque de son identité.

 

Chaque oeuvre, élaborée sous forme de dessins, d’essais visuels, textuels, et installations, raconte une ou plusieurs histoires, fragmentées, réelles ou peut-être inventées, à partir d’images collectées par l’artiste. L’image, produite à partir de la photographie, du dessin à l’encre, au crayon de couleur, prend valeur de document par la réminiscence d’une mémoire à la lisière de l’oubli, renforcée par les noirs veloutés du fusain que l’artiste utilise avec prédilection.

 

Gabriel Folli, de ce potentiel moment de bascule, imagine le vecteur de nos souvenirs. La relation entre les deux langages, visuel et textuel, élabore un système de significations nommant l’espace et le temps. Ce cadre d’appréhension d’une expérience de l’image par la narration du texte, crée un équilibre fragile entre réalité et fiction.

 

La résurgence du passé, mêlée au présent recomposé, telle l’anticipation d’un futur imminent.

Diane Der Markarian

Texte écrit à l’occasion de l’exposition personnelle Au temps vécu, fanent les fleurs de Gabriel Folli à La Maison de la Culture d’Amiens du 09.11.2021 au 20.02.2022

 

 

 

 

Gabriel Folli a choisi d’investir l’espace du Box durant dix jours de résidence, à travers un projet lié à sa propre expérience. De la naissance à l’âge adulte, de l’innocence de l’enfance à la violence que les humains s’infligent mutuellement, de ces moments passés et présents, divisés et toujours vivants, l’artiste nous emporte dans un travail de réflexion sur la mémoire, qu’elle soit collective ou personnelle. Fruit de sa lecture de l’environnement, la nature semble ici notamment être mise à l’épreuve et soumise à l’exploitation humaine.

Cette même lecture a alors poussé l’artiste à adopter une véritable économie de moyens, s’incarnant via des choix plastiques et matériels redéfinissant, le temps d’une exposition, sa pratique. La découpe approximative des supports, l’adhésif de masquage à même le mur, le geste rapide mais précis, remplacent cadres, châssis, et geste plus maîtrisé.

L’idée d’inclure une fresque murale, peinte à l’acrylique noire et accompagnée de quelques touches de fusain, a été de prime abord l’ossature de la scénographie. Elle représente un copier-coller d’arbres feuillus ou morts, inspirés du paysage montagnard avoisinant la ville de Toulouse, ainsi que d’autres éléments faisant référence à l’actualité anxiogène que connaît la France, pays natal de Gabriel Folli.

Retranscris sous formes de dessins, essais visuels, textuels, et installations, chaque oeuvre raconte une ou plusieurs histoires, fragmentées, réelles ou peut-être inventées, à partir d’images collectées par l’artiste.

Le décor de l’exposition s’entremêle à des références littéraires et cinématographiques, historiques et philosophiques, dans de nouvelles associations parfois antagoniques mais symptomatiques du regard que porte Gabriel Folli sur le monde.

Point Contemporain, Gabriel Folli, La Terre entière pour tombeau, solo show, Le Box, Toulouse, février 2020

 

EFFONDREMENTS. Ici, l’effondrement de ce qui est devenue bâtisse, anciennement structure pensée et fantasmée comme inébranlable par ses occupants. Plus que des occupants, il donne à voir l’arrachement auquel ont dû faire face ces habitants, et auquel nous nous transposons sans grand mal. Plus encore qu’une structure, c’est l’effondrement de la structure, la faillite de celle-ci, celle qui régie l’organisation de la cité. Ce qui fut l’intimité d’un paon de personnes, le refuge pour certaines âmes, la demeure de mémoires familiales, disparaît dans un nuage de poussière. Car tu es poussière et tu redeviendras poussière. (Genèse 3:19) L’éphémérité de la vie, des éléments, mis en abîme par l’emploi du fusain sur un papier marqué par le temps. 

Kristofer Hart, mars 2017

Inlassablement, vous revenez sur ce qui entoure votre enfance ; les lieux, les personnes, les habitations et les objets. Il y a une sorte de quête à vous prouver votre existence au travers de ces témoignages. On y reconnaît le climat d’un âge, d’une époque, d’un milieu social. La déambulation accompagne comme une voix intérieure la description de cet environnement que le regard observe, interroge, retient. C’est à l’image de restituer la force de cette interrogation.

 

Dessins, photos, vidéos sont investis de ce pouvoir de remémoration et multiplient les statuts d’acteurs, regardeurs, photographes. Les notions de nature, de paysage et de famille sont acceptées comme des évidences, comme le décor fragile d’un environnement que vous voulez tantôt maintenir en l’état, tantôt déconstruire petit à petit. Un travail sur une future absence, sur l’instant qui précède l’oubli. 

 

Ghislaine Vappereau, janvier 2015

 

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